Sport Alors que le Top 14 reprend samedi, visite de la structure atypique montĂ©e outre-Rhin par Hans-Peter Wild, repreneur du club parisien. Les buissons en fleurs » sont toujours lĂ . Les ruelles escarpĂ©es adossĂ©es aux collines ou ornant les rivages » de lâode Ă Heidelberg du poĂšte Friedrich Hölderlin aussi. Depuis, les terrains de rugby ont fait leur apparition la ville allemande des Ă©tudiants est aussi devenue celle des rugbymen. Y compris ceux du Stade français, le club historique de Paris, dont lâhistoire sâĂ©crit dĂ©sormais de part et dâautre du Rhin. Un investissement de 30 millions dâeuros dans les trois saisons Ă venir pour le Stade français Depuis deux mois, le nouveau patron du Stade français sâappelle Hans-Peter Wild, 76 ans et 52e fortune de Suisse, oĂč il rĂ©side. Lâhomme apprĂ©cie Paris pour lâavoir dĂ©couverte dans ses annĂ©es estudiantines, et cela fait dix ans que ce milliardaire allemand veut faire de son pays une puissance Ă©mergente de lâOvalie grĂące Ă la Wild Rugby Academy WRA, centre dâentraĂźnement officieux de lâĂ©quipe dâAllemagne, oĂč les Parisiens viennent de sâentraĂźner pendant cinq jours avant le lancement de la saison. Samedi 26 aoĂ»t, de retour au stade Jean-Bouin, les stadistes » sâapprĂȘtent Ă recevoir les Lyonnais en ouverture du championnat de France, le Top 14. Lire aussi Article rĂ©servĂ© Ă nos abonnĂ©s Le Stade français se choisit un repreneur allemand Le docteur Wild sauve financiĂšrement le club. Avec beaucoup de respect, jâai envie de dire quâon a tirĂ© le gros lot », reconnaissait Pascal PapĂ©, ancien deuxiĂšme-ligne du Stade français croisĂ© en juin en plein repĂ©rage Ă Heidelberg. Comprendre un investisseur capable de dĂ©penser 30 millions dâeuros dans les trois saisons Ă venir pour ce club qui a failli pĂ©ricliter au mois de mars. Lâancien prĂ©sident, Thomas Savare, menaçait alors dâune fusion avec les voisins du Racing. Formation de jeunes Allemands Ă Paris Robert Mohr suivait lâhistoire depuis lâAllemagne. Le manageur de la Wild Rugby Academy a fini par appeler PapĂ©, son ancien coĂ©quipier Ă Bourgoin-Jallieu, alors Ă lâinitiative dâune grĂšve des joueurs contre la fusion Cette histoire mâa montrĂ© quâil y avait une grosse Ăąme dans ce club, des valeurs, de lâidentitĂ©, et tout ça mâa donnĂ© envie de me renseigner. » Et surtout, dâinciter Hans-Peter Wild Ă se pencher sur le cas parisien. Lâancienne maison du milliardaire, sur les hauteurs de Heidelberg, sa ville natale, sert dĂ©sormais de siĂšge Ă lâacadĂ©mie de rugby, qui reprĂ©sente 3 millions dâeuros dâinvestissements par an. A quelques minutes en voiture, des bĂąches bleues Capri-Sun » habillent le bord du terrain dĂ©sormais synthĂ©tique, conçu pour rĂ©sister aux assauts de lâhiver. La marque de jus de fruits, qui a fait la fortune familiale, finance aussi bien lâĂ©quipe nationale dâAllemagne que le Stade français. Ainsi va le nouveau rugby » professionnel, de plus en plus dĂ©pendant dâhommes dâaffaires », constatait dĂ©jĂ PapĂ©. En contrepartie, les joueurs du Stade français joueront avec le logo du juteux sponsor sur leur maillot, comme ceux de lâĂ©quipe dâAllemagne. Le club parisien envisage Ă©galement de recevoir dans son centre de formation de jeunes espoirs repĂ©rĂ©s sur tout le territoire allemand. Robert Mohr espĂšre en envoyer le plus tĂŽt possible », mais annonce aussi un projet dâenvergure la crĂ©ation Ă Heidelberg dâun vaste complexe de 3 600 m2, autrement plus vaste que le bĂątiment dâaujourdâhui et sa salle de musculation. LâĂ©cole des internationaux allemands Lâ Academy », en attendant, mise sur son Ă©quipe dâadultes. Un groupe de 20 Ă 25 joueurs payĂ©s Ă temps plein pour sâentraĂźner ensemble et reprĂ©senter lâAllemagne. Une bonne chose selon le sĂ©lectionneur sud-africain de lâAllemagne, Kobus Potgieter En Afrique du Sud, le rugby est la passion de notre vie, on a la possibilitĂ© de devenir joueur professionnel. En Allemagne, câest en gĂ©nĂ©ral un hobby, quelque chose que les jeunes font sur leur temps libre. Et quand ils finissent lâĂ©cole, quand ils commencent Ă Ă©tudier, ils mettent ce hobby de cĂŽtĂ©. » En Ă©change de son financement, une structure privĂ©e a pris la main sur une sĂ©lection nationale Ainsi va, lĂ aussi, le nouveau rugby en Ă©change de son financement, une structure privĂ©e a pris la main sur une sĂ©lection nationale, sur ses entraĂźnements et le droit de commercialiser son maillot. Selon le dispositif mis en place il y a deux ans, lâAcademy verse aux joueurs un salaire pouvant aller jusquâĂ 3 000 euros mensuels. Loin des 19 000 euros brut en moyenne dans les clubs français du Top 14, selon les estimations du quotidien LâEquipe. Au menu de midi, barbecue et salade, diĂ©tĂ©tique oblige ce jour de juin, les joueurs disputaient lâun de leurs derniers entraĂźnements de la saison. Parmi eux, Michael Poppmeier et sa barbe de deuxiĂšme-ligne Ici, quand je vais chez le docteur, si je dis que je joue au rugby, le docteur rĂ©pond quâest-ce que câest, le rugby ? Et si je me promĂšne avec un Ćil au beurre noir, on me demandera mais quâest-ce quâil sâest passĂ© ? En Afrique du Sud, ils diraient ah ouais, il joue sĂ»rement au rugby ! » En vertu de ses origines familiales, le senior de 35 ans fait partie des Sud-Africains habilitĂ©s Ă jouer pour la Nationalmannschaft. Initiations dans les Ă©coles Les contrats demandent aussi aux joueurs dâanimer des initiations dans les gymnases dâune vingtaine dâĂ©coles du coin. Voire, pour certains, dâentraĂźner des Ă©quipes de jeunes. On ne demande pas aux Ă©coliers de se mettre en ligne et de faire des plaquages ou des passes. On leur fait faire des jeux pour quâils prennent du plaisir », rĂ©sume le Français Harris Aounallah, international allemand par sa grand-mĂšre. Au terme de sa premiĂšre annĂ©e Ă la Wild Rugby Academy, lâancien espoir du Stade rochelais a prĂ©vu de retourner en France dĂšs la rentrĂ©e. En cause le faible niveau du championnat dâAllemagne. Les acadĂ©miciens » doivent en effet jouer, le week-end, dans un club allemand de leur choix. Le niveau ne me convient pas », reconnaĂźt le jeune homme. A 23 ans, il restera sĂ©lectionnable en Ă©quipe dâAllemagne mais jouera dĂ©sormais Ă Dijon, signe que mĂȘme la troisiĂšme division française lui semble dâun tonnage plus relevĂ© que la Bundesliga. Comme nombre de ses coĂ©quipiers de la sĂ©lection, Harris Aounallah a gagnĂ© lâan passĂ© le championnat dâAllemagne avec le Heidelberger Ruderklub HRK 1872. Le bastion du rugby dâoutre-Rhin La Wild Rugby Academy sâentraĂźne justement sur les installations du plus vieux club de rugby allemand. Le HRK a dĂ©butĂ© dans la lignĂ©e des universitĂ©s britanniques ses Ă©tudiants fondateurs le dotĂšrent aussi dâune section dâaviron pour ramer sur le Neckar. Ce passĂ© a toujours fait de Heidelberg le bastion du rugby allemand », selon Hans-Joachim Wallenwein, vice-prĂ©sident de la FĂ©dĂ©ration allemande de rugby DRV, de passage au club ce matin-lĂ . Dans ses bureaux de Hanovre, la fĂ©dĂ© » allemande assiste comme elle peut Ă lâĂ©volution de son sport elle compte aujourdâhui 15 300 licenciĂ©s, contre un peu moins de 9 700 il y a dix ans. Peut-ĂȘtre la relĂšve dâune sĂ©lection allemande, qui rĂȘve toujours dâune qualification inĂ©dite pour la Coupe du monde, Ă commencer par celle de 2019 au Japon. En fĂ©vrier, le pays a dĂ©jĂ vĂ©cu un premier frisson et une lĂ©gĂšre exposition mĂ©diatique en championnat europĂ©en des nations, les Allemands ont battu pour la premiĂšre fois la Roumanie, une habituĂ©e du Mondial. 2 300 spectateurs ont assistĂ© Ă la scĂšne, Ă Offenbach-sur-le-Main, situĂ©e Ă une petite centaine de kilomĂštres de Heidelberg. Adrien PĂ©coutHeidelberg Allemagne, envoyĂ© spĂ©cial Vous pouvez lire Le Monde sur un seul appareil Ă la fois Ce message sâaffichera sur lâautre appareil. DĂ©couvrir les offres multicomptes Parce quâune autre personne ou vous est en train de lire Le Monde avec ce compte sur un autre appareil. Vous ne pouvez lire Le Monde que sur un seul appareil Ă la fois ordinateur, tĂ©lĂ©phone ou tablette. Comment ne plus voir ce message ? En cliquant sur » et en vous assurant que vous ĂȘtes la seule personne Ă consulter Le Monde avec ce compte. Que se passera-t-il si vous continuez Ă lire ici ? Ce message sâaffichera sur lâautre appareil. 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NotĂ©/5. Retrouvez L'autre cĂŽtĂ© du fleuve et des millions de livres en stock sur Amazon.fr. Achetez neuf ou d'occasion Football Euro 2021 MalgrĂ© sa rĂ©putation entachĂ©e, lâex-banni de la sĂ©lection française, reconnu en Espagne pour son sens du collectif, a su se rendre incontournable. Ce soir, face Ă lâAllemagne, lâattaquant du Real Madrid devra rĂ©pondre Ă des attentes Ă©levĂ©es. Article rĂ©servĂ© aux abonnĂ©s En Espagne, on dit que la mauvaise rĂ©putation tue. Mais câest bien de ce cĂŽtĂ© des PyrĂ©nĂ©es quâelle a failli stopper la carriĂšre internationale de Karim Benzema. Ces derniĂšres annĂ©es, un fossĂ© sâest creusĂ© entre le footballeur quâil a toujours Ă©tĂ© et son image auprĂšs du grand public. Mais Ă 33 ans, lâancien banni â il sera jugĂ© en octobre dans le cadre de lâaffaire de tentative supposĂ©e de chantage Ă la sextape de Mathieu Valbuena â connaĂźt un Ă©tonnant Ă©tat de grĂące pour son retour avec les Bleus cinq ans aprĂšs sa mise Ă lâĂ©cart. Les attentes placĂ©es en lui sont Ă la hauteur de sa spectaculaire rĂ©habilitation avant les dĂ©buts de lâĂ©quipe de France dans lâEuro 2021 face Ă lâAllemagne, mardi 15 juin Ă Munich. Lire aussi Article rĂ©servĂ© Ă nos abonnĂ©s Euro 2021 le retour de Karim Benzema, une affaire dâabord sportive pour Didier Deschamps Loin des clichĂ©s sur son supposĂ© Ă©goĂŻsme ou, pire, les procĂšs politiques en mauvais Français, Karim Benzema est une espĂšce unique de buteur, mais aussi un esthĂšte inclassable, ne sacrifiant jamais le beau Ă lâefficace. Quand dâautres avants-centres ne vivent que par leurs statistiques, le joueur du Real Madrid dĂ©fend une vision moins comptable. Le jour oĂč je ne verrai le foot que par les statistiques, je pense que jâarrĂȘterai. Parce que jâaurai perdu ce truc en moi depuis tout petit », plaidait-il en 2019 dans un entretien Ă France Football. MalgrĂ© 300 rĂ©alisations sous le maillot madrilĂšne â 387 depuis ses dĂ©buts professionnels Ă lâOlympique lyonnais OL seize ans plus tĂŽt â le joueur impressionne depuis toujours par son aisance technique. Consultant pour BeIN Sports, lâArgentin Omar da Fonseca â qui commente les matchs du championnat espagnol depuis plusieurs annĂ©es â fait parler son lyrisme sud-amĂ©ricain pour le dĂ©crire Il joue avec le smoking et les chaussures brillantes. Il est dâune classe et dâune Ă©lĂ©gance⊠Il peut ĂȘtre au dĂ©part des actions, au milieu des actions et Ă leur conclusion. » Lire aussi Le bilan de Karim Benzema en Ă©quipe de France Pour Bernard Lacombe, le coup de foudre a Ă©tĂ© immĂ©diat. Longtemps conseiller spĂ©cial du prĂ©sident de lâOL, Jean-Michel Aulas, lâancien buteur des annĂ©es 1970-1980 se revoit assister au premier entraĂźnement du prodige, Ă Lyon Il avait 17 ans et câĂ©tait un pur rĂ©gal de le voir. Jâai demandĂ© Ă son coach, Armand Garrido âMais qui câest, ce gamin-lĂ ? On va avoir un immense footballeurâ. » Buteur doublĂ© dâun facilitateur de jeu DĂšs le centre de formation, le nouveau numĂ©ro 19 des Bleus fait trembler les filets adverses mais frappe aussi par sa polyvalence. Armand Garrido le dĂ©crit comme un buteur doublĂ© dâun facilitateur de jeu Il Ă©tait dĂ©jĂ le mĂȘme type de joueur, avec la mĂȘme sensibilitĂ©. Il a toujours aimĂ© tourner autour dâun autre attaquant, se dĂ©caler sur le cĂŽtĂ© gauche, observe le formateur. CâĂ©tait un buteur efficace, mais avec cette aisance et cette finesse par rapport Ă dâautres avants-centres. Il aimait autant marquer que faire marquer. » Il vous reste de cet article Ă lire. La suite est rĂ©servĂ©e aux abonnĂ©s. Vous pouvez lire Le Monde sur un seul appareil Ă la fois Ce message sâaffichera sur lâautre appareil. DĂ©couvrir les offres multicomptes Parce quâune autre personne ou vous est en train de lire Le Monde avec ce compte sur un autre appareil. Vous ne pouvez lire Le Monde que sur un seul appareil Ă la fois ordinateur, tĂ©lĂ©phone ou tablette. Comment ne plus voir ce message ? En cliquant sur » et en vous assurant que vous ĂȘtes la seule personne Ă consulter Le Monde avec ce compte. Que se passera-t-il si vous continuez Ă lire ici ? Ce message sâaffichera sur lâautre appareil. Ce dernier restera connectĂ© avec ce compte. Y a-t-il dâautres limites ? Non. Vous pouvez vous connecter avec votre compte sur autant dâappareils que vous le souhaitez, mais en les utilisant Ă des moments diffĂ©rents. Vous ignorez qui est lâautre personne ? Nous vous conseillons de modifier votre mot de passe.Desdizaines de tonnes de poissons morts continuent Ă ĂȘtre repĂȘchĂ©s, le long du fleuve Oder, en Pologne et en Allemagne. Mais Ă ce jour, "aucune analyse n'a
LA FRANCE ET L'ALLEMAGNE DANS L'AFRIQUE CENTRALE LA DĂLIMITATION DU CAMEROUN ET DU CONGO FRANĂAIS La France et lâAllemagne viennent de signer relativement Ă la dĂ©limitation de leurs possessions respectives dans le Centre africain un accord que les Chambres françaises vont ĂȘtre appelĂ©es Ă ratifier. Cet accord met fin Ă une situation Ă©pineuse et dĂ©licate qui, surtout dans ces derniĂšres annĂ©es, menaçait de devenir une source de complications dâordres divers. LâAllemagne a obtenu le prolongement de la colonie du Cameroun juquâaux rives du Chari, la France le prolongement de la frontiĂšre occidentale du Congo français jusquâau lac Tchad. La part que sâest rĂ©servĂ©e lâAllemagne, si elle nâa pas rĂ©pondu complĂštement Ă ses espĂ©rances ambitieuses, peut ĂȘtre jugĂ©e satisfaisante, et ses explorateurs pourront la considĂ©rer comme une digne rĂ©compense de leurs fatigues et de leurs labeurs. LâĆuvre commencĂ©e il y a dix ans Ă peine par la prise de possession de quelques localitĂ©s insignifiantes sur le littoral se termine aujourdâhui aux rives du Chari. Tandis que le nouveau domaine de lâAllemagne nettement dĂ©limitĂ© de tous cĂŽtĂ©s est dĂ©sormais Ă lâabri de toutes contestations, les immenses territoires reconnus Ă la France par lâaccord du 4 fĂ©vrier 1894 peuvent lui ĂȘtre disputĂ©s, dans une certaine mesure, par des concurrens. Sur le haut Oubangui et sur le haut Chari nous restons en prĂ©sence des Anglais et des Belges, qui entendent rĂ©clamer leur grosse part. NĂ©anmoins un grand pas a Ă©tĂ© fait dans la voie du partage politique dĂ©finitif de lâAfrique, par lâarrangement franco-allemand, et le temps nâest certainement pas Ă©loignĂ© oĂč lâon verra les nations europĂ©ennes dĂ©penser leur activitĂ© dans le champ quâelles se seront dâun commun accord assignĂ©, sans pour cela ĂȘtre les unes pour les autres une source de difficultĂ©s et de gĂȘne. LâenchevĂȘtrement de causes et de circonstances qui auront amenĂ© lâEurope Ă se partager le Centre africain sera alors une histoire intĂ©ressante Ă connaĂźtre, et la formation territoriale du Cameroun, qui peut dĂšs maintenant ĂȘtre racontĂ©e, sera un des chapitres les plus importans de ce rĂ©cit. On y admirera la clairvoyance avec laquelle a Ă©tĂ© choisi sur le littoral lâemplacement de la future colonie du Cameroun, la dĂ©cision et lâĂ©nergie qui ont prĂ©sidĂ© Ă sa fondation, lâesprit de suite et de mĂ©thode qui ont contribuĂ© Ă son accroissement. Lâhistoire du Congo français, intimement liĂ©e Ă celle du Cameroun, fera ressortir de son cĂŽtĂ© la grandeur et la tĂ©nacitĂ© des efforts que nous avons dĂ©ployĂ©s pour contrecarrer les entreprises tentĂ©es dâautre part. Dans la lutte de vitesse au cĆur du continent africain qui eut lieu entre les explorateurs allemands et les explorateurs français, ceux-ci lâont emportĂ©, et leur victoire, qui est aussi celle de tous ceux qui ont organisĂ© et soutenu leurs missions, a eu comme consĂ©quence lâabandon par lâAllemagne Ă la France du Soudan oriental et la possibilitĂ© pour cette derniĂšre de constituer des rives du Congo au bord de la MĂ©diterranĂ©e un immense empire africain. I LâĂ©tablissement des Allemands au Cameroun est de date rĂ©cente. A la fin de 1883, la prospĂ©ritĂ© croissante de lâAllemagne, le dĂ©veloppement du commerce et de lâindustrie, lâaugmentation rapide de la population, lâĂ©migration dâune partie des habitans et des capitaux Ă lâĂ©tranger, les exigences de la marine militaire et marchande, peut-ĂȘtre aussi le secret dĂ©sir de fortifier lâunitĂ© de lâempire en donnant Ă la rĂ©union dâEtats qui le formaient des colonies impĂ©riales, tous ces motifs dĂ©cidĂšrent le gouvernement allemand Ă rechercher dans les diverses parties du globe les points oĂč il pourrait hisser son pavillon et crĂ©er des Ă©tablissemens coloniaux. La cĂŽte du Cameroun dans la baie de Biafra attira particuliĂšrement son attention. Le pays nâavait pas encore Ă©tĂ© occupĂ©, du moins officiellement, par une puissance europĂ©enne ; il Ă©tait sain, il paraissait appelĂ© Ă un grand avenir. Sous cette zone torride, le massif montagneux du Cameroun, sâĂ©levant du bord mĂȘme de lâOcĂ©an Ă 4500 mĂštres de haut, offrait des conditions de tempĂ©rature et de climat telles quâil Ă©tait signalĂ© depuis longtemps par les voyageurs comme devant servir aux EuropĂ©ens de colonie de peuplement et mĂȘme de station de convalescens. Au pied de la Montagne du Ciel ainsi lâappelaient les indigĂšnes, lâembouchure du fleuve Cameroun offrait un mouillage beaucoup plus favorable que la plupart des embouchures des riviĂšres qui se jettent dans le golfe de GuinĂ©e ; ce fleuve Ă©tait large et navigable sur une assez grande Ă©tendue. Les habitans de la cĂŽte Ă©taient depuis longtemps habituĂ©s au contact des EuropĂ©ens ; ils faisaient avec eux un commerce des plus actifs. LâAllemagne pouvait dâailleurs se croire quelques droits Ă la possession de cette rĂ©gion. DĂšs 1870, Henri Barth avait parcouru lâintĂ©rieur du pays et atteint le premier les rives de la haute BĂ©nouĂ©. Quelques annĂ©es plus tard, Rohlfs avait descendu cette riviĂšre, Flegel lâavait remontĂ©e. A la suite des indications fournies par ce dernier, des maisons allemandes avaient Ă©tabli des factoreries Ă proximitĂ© du fleuve Cameroun et y avaient acquis une situation commerciale prĂ©pondĂ©rante. Chaque annĂ©e cette prĂ©pondĂ©rance sâaccentuait. De 1861 Ă 1883, lâexportation par navires de Hambourg au Cameroun sâĂ©tait Ă©levĂ©e de 3 300 tonnes Ă 47 000 tonnes ; lâimportation avait augmentĂ© dans de semblables proportions. Les relations des indigĂšnes avec les commerçans europĂ©ens Ă©taient empreintes dâune cordialitĂ© telle que plusieurs chefs du pays avaient signĂ© avec les reprĂ©sentans de Hambourg et de BrĂšme des traitĂ©s qui constituaient de vĂ©ritables donations de territoires en faveur de ces derniers. Aussi quand, en 1883, le prince de Bismarck demanda aux Chambres de commerce de Hambourg, de Lubeck et de BrĂȘme quelles seraient les mesures les plus propres Ă dĂ©velopper et Ă protĂ©ger le commerce allemand sur la cĂŽte occidentale dâAfrique, ces derniĂšres conclurent-elles Ă la prise de possession du littoral du Cameroun par lâAllemagne. La chambre de commerce de Hambourg fut particuliĂšrement nette Ă cet Ă©gard. AprĂšs avoir passĂ© en revue la situation politique et commerciale de cette portion de la cĂŽte occidentale dâAfrique, elle demanda formellement lâoccupation immĂ©diate de la baie de Biafra et la crĂ©ation dâune station navale dans ces parages. CâĂ©tait aller au-devant des dĂ©sirs du prince de Bismarck. Se trouvant appuyĂ©, ce dernier entra rĂ©solument dans la voie que lui indiquait le commerce hansĂ©atique. Des instructions dĂ©taillĂ©es furent donnĂ©es Ă lâillustre explorateur Nachtigal, qui fut, pour la circonstance, nommĂ© avec pleins pouvoirs commissaire impĂ©rial Ă la cĂŽte occidentale dâAfrique et reçut, le 19 mai 1884, lâordre de sâembarquer sans dĂ©lai Ă Lisbonne. Il fallait agir avec dâautant plus de promptitude et dâĂ©nergie que lâAngleterre avait des visĂ©es sur cette cĂŽte. Elle y avait mĂȘme pris pied en un point quâelle sâĂ©tait fait cĂ©der en 1837 par le roi de Bembia. En ce point, quâon avait nommĂ© Victoria, le missionnaire Saker avait fondĂ© en 1858 une station de missionnaires quâentretenait et subventionnait la SociĂ©tĂ© baptiste de Londres. Le premier qui avait atteint la cime du Cameroun Ă©tait le capitaine Burton, qui y avait arborĂ© en 1861 le drapeau de la Grande-Bretagne. Depuis, les agens consulaires anglais envoyĂ©s dans la contrĂ©e, et notamment le dernier, M. Hewet, nâavaient cessĂ© de solliciter le Foreign-Office de reconnaĂźtre les faits accomplis et de leur donner une sanction par la dĂ©claration officielle du protectorat anglais sur tout le littoral. Aux sollicitations des agens consulaires se joignaient les efforts des missionnaires baptistes et les dĂ©sirs des indigĂšnes, qui dans ces derniers temps avaient revĂȘtu le caractĂšre de manifestations publiques. Mais, malgrĂ© ces invitations et leur caractĂšre pressant, le cabinet de Londres ne voulait pas se prononcer. M. Gladstone, alors au ministĂšre, avait abandonnĂ© la politique impĂ©riale » inaugurĂ©e par Beaconsfield, et, fidĂšle aux traditions de lâĂ©cole de Manchester, entendait ne dĂ©penser pour lâextension de lâempire colonial britannique ni un soldat ni un Ă©cu. Volontiers mĂȘme il abandonnait certaines portions de cet empire rĂ©cemment annexĂ©es sous le ministĂšre de son prĂ©dĂ©cesseur. Dans lâAfrique australe, Ă la suite de la bataille de Majuba-Hill, il avait accordĂ© au Transwaal une sorte de demi-indĂ©pendance ; en Asie, il faisait retirer les troupes anglaises de lâAfghanistan, et ne voulait plus garder les territoires que lord Beaconsfield avait cherchĂ© Ă incorporer Ă lâInde pour donner Ă cette derniĂšre ce quâon appelait alors une frontiĂšre scientifique. Sur la cĂŽte occidentale dâAfrique, les pĂ©titions annexionnistes des indigĂšnes et de ses nationaux le laissaient indiffĂ©rent. Il ne fallut rien moins que le dĂ©part de Nachtigal pour le forcer Ă prendre une dĂ©cision. Alors seulement fut donnĂ© au consul Hewet lâordre de prendre possession immĂ©diate de la cĂŽte au nom de lâAngleterre. Hewet sâembarqua sur-le-champ, fit toute diligence, mais ne put arriver en vue du Cameroun que le 19 juillet. Nachtigal y Ă©tait depuis le 15. Sans perdre une minute, le commissaire allemand avait convoquĂ© les chefs indigĂšnes amis et cliens des maisons allemandes, conclu avec eux des traitĂ©s et fait accepter le protectorat allemand. Tout avait Ă©tĂ© terminĂ© le jour mĂȘme Ă minuit. Hewet ne put que remettre Ă Nachtigal une protestation dans laquelle il rĂ©servait les droits antĂ©rieurs de lâAngleterre sur le pays. Pour une fois, dans lâhistoire de ses aventures coloniales, lâAngleterre sâĂ©tait laissĂ© devancer et avait laissĂ© prendre par une puissance europĂ©enne une cĂŽte quâelle convoitait. Nachtigal ne tint dâailleurs aucun compte de la protestation du consul anglais et ne tarda pas Ă montrer que lâAllemagne Ă©tait bien rĂ©ellement la maĂźtresse dans ces rĂ©gions. Des indigĂšnes partisans des Anglais ayant voulu protester contre la prise de possession de leur territoire, il fit appeler la flotte impĂ©riale, qui bombarda et dĂ©truisit les villages rĂ©calcitrans. Un grand nombre dâindigĂšnes furent massacrĂ©s. Ayant ainsi affermi son autoritĂ©, Nachtigal sâoccupa dâĂ©tendre le nouveau domaine quâil venait de donner Ă lâAllemagne. Il descendit vers le sud et occupa la cĂŽte sur une Ă©tendue de 160 kilomĂštres jusquâĂ Grand-Batanga, oĂč il dut sâarrĂȘter, car lĂ commençait le territoire appartenant Ă la France. Il remonta alors au nord, dans le dessein de procĂ©der Ă de nouvelles annexions ; mais lĂ une dĂ©sagrĂ©able surprise lâattendait tout le pays venait dâĂȘtre annexĂ© par Hewet depuis le pied du Cameroun jusquâaux bouches du Niger. Celui-ci en effet, aussitĂŽt sa protestation remise, faisant preuve du plus grand sang-froid, avait dĂ©clarĂ© anglaise la station de Victoria, puis conclu des traitĂ©s avec les chefs indigĂšnes du littoral, de maniĂšre Ă empĂȘcher toute extension de la colonie allemande vers le nord. Force fut donc Ă Nachtigal de se contenter de la partie du littoral depuis le mont Cameroun jusquâĂ Grand-Batanga et, Ă la fin de 1884, la colonie nouvelle comprit ainsi le mont Cameroun, les bouches du Mingo, lâembouchure du fleuve Cameroun et, dans le delta de la riviĂšre Edia, le territoire de Malimba avec la ville de ce nom. II La nouvelle colonie allemande se trouvait donc avoir pour voisins des territoires anglais au nord et des territoires français au sud. Les Anglais sâĂ©taient Ă©tablis Ă Lagos en 1861, la France au Gabon on 1842, et depuis les deux nations nâavaient cessĂ© de sâĂ©tendre lâune vers le sud, lâautre vers le nord, allant ainsi Ă la rencontre lâune de lâautre. Français et Anglais avaient donc pu se croire appelĂ©s Ă devenir les maĂźtres exclusifs de la cĂŽte, âjusquâau jour oĂč les Allemands abordĂšrent au Cameroun. On conçoit le dĂ©sagrĂ©ment quâils durent Ă©prouver de la fondation de la nouvelle colonie. Sur ce littoral quâils considĂ©raient volontiers comme leur futur domaine, un tiers venait qui sâen appropriait la plus belle et la plus salubre partie. Ce nouveau voisinage nâĂ©tait pas dâailleurs sans leur inspirer quelques inquiĂ©tudes. Les Allemands en Ă©taient alors Ă la premiĂšre pĂ©riode de leur fiĂšvre coloniale ; ils nâavaient dâautre dĂ©sir que dâagrandir le plus possible leur nouveau domaine, sans se soucier outre mesure des droits acquis par leurs devanciers. Des empiĂ©temens de leur part Ă©taient Ă redouter dâautant plus que les points occupĂ©s par eux se trouvaient enchevĂȘtrĂ©s sur le littoral au milieu des Ă©tablissemens français et anglais. Il fallait bien se rĂ©signer cependant, et puisquâon nâavait pu empĂȘcher un tel voisinage, le mieux Ă©tait de sâen accommoder et de chercher Ă Ă©liminer toute cause de conflit. Câest ce que comprirent lâAngleterre et la France, qui se rĂ©solurent Ă convier lâAllemagne Ă la dĂ©limitation de leurs territoires rĂ©ciproques. LâAngleterre entra la premiĂšre dans cette voie. Faisant contre mauvaise fortune bon cĆur, elle avait dĂšs le 27 octobre 1884 reconnu le fait accompli en ce qui concernait lâoccupation du Cameroun par lâAllemagne et transmis en ce sens une dĂ©claration Ă Berlin. Des pourparlers sâengagĂšrent aussitĂŽt aprĂšs la note remise entre lord Granville et le prince de Bismarck pour le tracĂ© dâune frontiĂšre commune entre les Ă©tablissemens anglais et les Ă©tablissemens allemands de la cĂŽte occidentale dâAfrique. Lâentente fut difficile Ă Ă©tablir, parce que le gouvernement allemand voulait englober dans sa possession le massif du Cameroun tout entier, tandis que lâAngleterre en poursuivait le partage. Les nĂ©gociations se prolongĂšrent deux mois ; enfin, Ă la suite dâune mission remplie auprĂšs du cabinet de Londres par le comte Herbert de Bismarck, un premier traitĂ© fixa, le 7 mai 1885, les limites des sphĂšres dâinfluence de lâAllemagne et de lâAngleterre dans le golfe de GuinĂ©e. La frontiĂšre adoptĂ©e fut, sur le littoral, lâembouchure du Rio-del-Bey ; Ă lâintĂ©rieur, une ligne longeant la rive droite de ce cours dâeau depuis son embouchure jusquâĂ sa source, puis se dirigeant droit vers la rive gauche de la riviĂšre du Vieux-Calabar et se terminant Ă un point marquĂ© par le mot rapids sur la carte anglaise de lâAmirautĂ©. La ligne de dĂ©marcation ne fut pas alors poussĂ©e plus loin. On nâavait pas de donnĂ©es gĂ©ographiques sur la rĂ©gion au-delĂ des rapides du Vieux-Calabar, et ce point lui-mĂȘme nâavait Ă©tĂ© choisi que parce quâil marquait la limite alors connue du cours du Vieux-Calabar, atteint en 1842 par le capitaine Bancroft. Il faut dire aussi que lâAllemagne nâavait pas voulu sâengager au-delĂ , afin de rĂ©server lâavenir. Ce que le sang-froid du consul Hewet annexant le pays jusquâaux rives du Niger avait empĂȘchĂ© Nachtigal de faire, le gouvernement allemand espĂ©rait par voie diplomatique lâobtenir. Il rĂȘvait de donner Ă la colonie comme frontiĂšre nord au-delĂ des rapides les rives mĂȘmes du Niger et de la BĂ©nouĂ©. Mais il avait comptĂ© sans lâesprit dâentreprise des Anglais. Ceux-ci, maĂźtres des embouchures du Niger, dont le cours infĂ©rieur Ă©tait exempt dâobstacles naturels, sâempressĂšrent de se servir de cette magnifique voie fluviale pour Ă©tendre leur influence sur les pays situĂ©s le long de son cours et de ses affluons. Des compagnies anglaises rivales se disputaient le commerce de ces rĂ©gions. Toutes fusionnĂšrent, et la National African Company, qui les absorba, finit par rĂ©gner sans conteste sur le moyen Niger et sur la BĂ©nouĂ©. En 1886, une charte royale lui fut octroyĂ©e et lui confĂ©ra une vraie royautĂ©, en lâautorisant Ă lever des troupes, Ă battre monnaie, Ă faire des lois, avec lâassentiment du sous-secrĂ©taire dâEtat. Elle prit alors le nom de Royal Niger Company ; lord Aberdare en devint le prĂ©sident. Elle possĂ©da cent cinquante factoreries, et ses bateaux remontĂšrent le Niger jusquâaux rapides de Boussa, Ă 736 kilomĂštres de la mer, et la BĂ©nouĂ© jusquâĂ Yola, sur un parcours de 720 kilomĂštres. Devant de tels progrĂšs accomplis en quelques mois et le dĂ©ploiement dâune activitĂ© pareille, lâAllemagne comprit que tout espoir de sâĂ©tendre vers le Niger et la BĂ©nouĂ© devait ĂȘtre abandonnĂ© par la colonie du Cameroun. Elle craignit mĂȘme que cette colonie ne fĂ»t enveloppĂ©e de tous cĂŽtĂ©s et rĂ©duite Ă une Ă©troite bande de littoral. Bien nâĂ©tait plus facile en effet Ă la Compagnie du Niger, qui avait pris une position dominante sur la BĂ©nouĂ©, que de descendre vers le sud, de conclure des traitĂ©s avec le sultan de lâAdamaoua et de fonder des Ă©tablissemens dans le pays situĂ© en arriĂšre de la cĂŽte du Cameroun. Sous lâempire de ces apprĂ©hensions, le cabinet de Berlin demanda de lui-mĂȘme la prolongation de la ligne de dĂ©marcation du Vieux-Calabar. LâAngleterre ayant bien voulu y consentir, il fut convenu par le protocole du 2 aoĂ»t 1886 que cette ligne serait prolongĂ©e en droite ligne vers Yola, Ă lâorient et tout prĂšs de cette ville, en un point quâun examen ultĂ©rieur ferait reconnaĂźtre comme se prĂȘtant pratiquement Ă la dĂ©termination dâune frontiĂšre. Au cours de ces laborieuses nĂ©gociations avec lâAngleterre, le gouvernement allemand avait engagĂ© des pourparlers avec la France afin de rĂ©gler dâune maniĂšre gĂ©nĂ©rale la situation respective de tous les Ă©tablissemens français et allemands Ă la cĂŽte occidentale dâAfrique. En 1884, le docteur Nachtigal avait arborĂ© le pavillon allemand non seulement sur le littoral de Cameroun, mais encore sur tous les points de la cĂŽte atlantique africaine qui nâĂ©taient pas occupĂ©s dâune maniĂšre effective par une puissance europĂ©enne. Câest ainsi que des prises de possession avaient eu lieu au midi du SĂ©nĂ©gal, au fond du golfe de BĂ©nin, dans la baie de Biafra, sur le littoral situĂ© au nord du fleuve Orange. Au midi du SĂ©nĂ©gal, lâAllemagne sâĂ©tait attribuĂ© la contrĂ©e comprise entre la rive gauche du Rio-Pongo et la rive droite de la Dubreka ; sur la cĂŽte de BĂ©nin, elle avait mis la main sur Togo et Porto-Seguro ; au nord du fleuve Orange, et le avait occupĂ© Angra-Pequena. Lâoccupation dâAngra-Pequena pouvait ĂȘtre indiffĂ©rente Ă la France ; mais il nâen Ă©tait pas de mĂȘme de lâoccupation des autres points de la cĂŽte. Si lâAllemagne pouvait faire valoir Ă lâappui de ses prĂ©tentions sur le Bio-Pongo et la Dubreka les traitĂ©s passĂ©s en 1884 par des agens de la maison Kölin, de Stuttgard, avec des chefs indigĂšnes, la France allĂ©guait que ce chef nâavait aucun titre pour aliĂ©ner un territoire ne lui appartenant pas, car il Ă©tait sous la dĂ©pendance de chefs plus puissans qui avaient conclu avec elle des traitĂ©s antĂ©rieurs engageant Ă la fois eux et leurs vassaux. Sur la cĂŽte de BĂ©nin, lâAllemagne avait bien pu occuper Porto-Seguro en vertu dâun traitĂ© conclu avec le roi de la contrĂ©e, mais la France dĂ©clarait que ce pays lui appartenait de par une convention antĂ©rieure. Il nâĂ©tait pas jusquâĂ certains points du littoral mĂȘme de la nouvelle colonie du Cameroun sur lesquels la France ne pĂ»t faire valoir quelques droits. Câest ainsi que la localitĂ© de Malimba, sur le littoral au midi du mont Cameroun, dĂ©clarĂ©e possession allemande par Nachtigal, pouvait ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme possession française depuis 1869, en vertu de traitĂ©s passĂ©s avec les chefs du pays. Toutes ces acquisitions avaient Ă©tĂ© faites avec une telle absence de scrupules, que le gouvernement allemand lui-mĂȘme ne se sentait pas rassurĂ© sur leur lĂ©gitimitĂ© et ne faisait aucune difficultĂ© dâen convenir. En manifestant au gouvernement français son dĂ©sir de voir rĂ©gler dâun commun accord la situation rĂ©sultant des prises de possession effectuĂ©es par les commissaires allemands, le prince de Bismarck Ă©crivait, le 13 septembre 1884, que si, parmi les acquisitions allemandes, il sâen trouvait qui pussent ne pas sâaccorder avec les droits et la politique de la France, son intention nâĂ©tait pas de les maintenir ». Ce tĂ©moignage de bon vouloir et cette loyautĂ© ne laissĂšrent pas le gouvernement français insensible, et M. Ferry, qui ne voulut pas rester en arriĂšre de courtoisie, fit rĂ©pondre, par lâintermĂ©diaire de M. de Courcel, que le gouvernement de la RĂ©publique française nâĂ©tait pas moins dĂ©sireux que le gouvernement impĂ©rial de rĂ©gler dans un esprit de bonne entente mutuelle les rapports de voisinage pouvant rĂ©sulter de la prise de possession, au nom de lâEmpire allemand, de plusieurs points de la cĂŽte occidentale dâAfrique Ă proximitĂ© des Ă©tablissemens français », et exprima la confiance que les deux gouvernemens nâauraient pas de peine Ă sâentendre sur les dĂ©limitations rĂ©ciproques Ă intervenir. Câest dans ces conditions, si favorables Ă un bon accord, que fut signĂ©, le 24 dĂ©cembre 1885, entre M. de Courcel, ambassadeur de la RĂ©publique française Ă Berlin, et le comte Herbert de Bismarck, le protocole dĂ©limitant la sphĂšre dâinfluence en Afrique des deux puissances intĂ©ressĂ©es. Naturellement le Cameroun fut compris dans cet arrangement. Un esprit de grande conciliation prĂ©sida Ă cette entente. Des concessions mutuelles furent faites de part et dâautre. LâAllemagne renonça Ă toutes prĂ©tentions sur le littoral au midi du SĂ©nĂ©gal, entre le Rio-Pongo et la MellacorĂ©e. En Ă©change, la France reconnut Ă lâAllemagne les villes de Porto-Seguro et de Petit-Popo, sur la cĂŽte des Esclaves, et abandonna Ă la colonie de Cameroun la ville de Grand-Batanga. La frontiĂšre nouvelle de cette colonie se trouva ainsi reportĂ©e de 60 kilomĂštres plus au sud. La ligne de dĂ©marcation entre le Congo français et le Cameroun partit de lâembouchure de la riviĂšre Campo, puis, suivant le 2° 2â de latitude nord, dut se prolonger Ă lâintĂ©rieur jusquâau 12° 40â de longitude est de Paris. Au nord de cette ligne le gouvernement français dut sâabstenir de toute action politique ; le gouvernement allemand prit le mĂȘme engagement en ce qui concernait les pays situĂ©s au midi. Tout lâavantage de cette convention revint Ă la colonie du Cameroun, qui se trouva bĂ©nĂ©ficier, par la cession de 00 kilomĂštres de cĂŽtes, des sacrifices consentis par lâAllemagne sur dâautres points du littoral africain. III Les deux conventions conclues, au cours de lâannĂ©e 1883, par lâAllemagne avec la France et lâAngleterre, peuvent ĂȘtre considĂ©rĂ©es comme les actes constitutifs de la colonie du Cameroun. Lâaccord anglo-allemand donnait Ă cette colonie une frontiĂšre dĂ©finie au nord, lâaccord franco-allemand, une frontiĂšre prĂ©cise au midi. Compris dans ces limites, le territoire du Cameroun eut la forme dâun trapĂšze dont les deux cĂŽtĂ©s parallĂšles furent reprĂ©sentĂ©s Ă lâest par la ligne du littoral et Ă lâouest par le mĂ©ridien 12° 40â de Paris, dont les deux autres le furent au nord par la ligne frontiĂšre tirĂ©e du Rio-del-Rey Ă Yola, au midi par la ligne de dĂ©marcation tracĂ©e entre le Cameroun et le Congo français. Lâaire de ce trapĂšze Ă©galait en Ă©tendue la moitiĂ© de lâAllemagne. Certes, il y avait lĂ pour elle un territoire suffisant pour assurer Ă lâactivitĂ© de ses nationaux pendant de longues annĂ©es le plus magnifique champ dâaction, dâautant plus quâen dehors de la zone cĂŽtiĂšre tout lâintĂ©rieur du pays Ă©tait inexplorĂ© ; mais lâambition des nouveaux maĂźtres du Cameroun ne put se borner Ă cet horizon, si vaste fĂ»t-il, et, au lendemain mĂȘme de la signature de la convention franco-allemande, ils ne voulurent voir dans la nouvelle colonie quâune amorce, quâun embryon dâune colonie plus vaste encore. Sans doute, il ne fallait pas songer Ă Ă©tendre leurs possessions vers le nord et vers le sud de ces cĂŽtĂ©s, les conventions conclues avec lâAngleterre et la France leur avaient imposĂ© des limites inflexibles. Mais du cĂŽtĂ© de lâest, vers lâintĂ©rieur du continent africain, la frontiĂšre restait ouverte. Le mĂ©ridien 12° 40â nâavait Ă©tĂ© indiquĂ© que comme une ligne provisoire. Au-delĂ , le pays Ă©tait au premier occupant. Tout le centre de lâAfrique se trouvait lĂ , attendant un maĂźtre europĂ©en lâAdamaoua, le Baghirmi, le WadaĂŻ, le Kanem, jusquâaux rives lointaines du Nil, quel empire colonial acquis Ă lâAllemagne ! Ce rĂȘve, tout bon colonial » allemand lâeut sous les yeux, et Ă sa rĂ©alisation travaillĂšrent les gouverneurs du Cameroun et les explorateurs. Il faut avouer que les uns et les autres firent preuve dans leurs entreprises de beaucoup de tĂ©nacitĂ©, dâesprit de suite et de mĂ©thode. Le littoral fut choisi comme base dâopĂ©rations, et lâintĂ©rieur du pays attaquĂ© par plusieurs points que lâon jugea les plus vulnĂ©rables. Trois fleuves descendaient des chaĂźnes cĂŽtiĂšres vers le golfe de Biafra le Vieux-Calabar au nord, la Sannaga au centre, le Njong au midi ; ils furent utilisĂ©s tous trois comme autant de voies de pĂ©nĂ©tration vers lâintĂ©rieur. La rĂ©gion nord fut explorĂ©e par le docteur Zintgraff. Ayant quittĂ© Barombi en dĂ©cembre 1888, Zintgraff visita le pays de Bali, arriva Ă Ibi sur la BĂ©nouĂ© et gagna Yola, capitale de lâAdamaoua, en passant par Gatschka, puis revint Ă la cĂŽte. Un an plus tard, le capitaine Kund et le lieutenant Tappenbeck avaient reconnu le cours de la Sannaga, fondĂ© la station de Jaunde. Kund, malade, rentrait Ă la cĂŽte, mais Tappenbeck poussait jusquâĂ Nghila, oĂč la mort venait le surprendre. SuccĂ©dant Ă Tappenbeck, Morgen reprit lâexploration au point oĂč elle avait Ă©tĂ© laissĂ©e, et arriva Ă Nghila en octobre 1890, puis de lĂ se dirigea sur NgaoundĂ©rĂ© et la haute BĂ©nouĂ©. Il put visiter lâAdamaoua mĂ©ridional et passer du bassin de la Sannaga dans celui du Niger janvier 1891, mais ne put atteindre aux sources de la BĂ©nouĂ©, et le capitaine de Gravenreuth, chargĂ© de continuer son Ćuvre, se faisait tuer dans un combat livrĂ© aux indigĂšnes novembre 1891. Son successeur fut Ramsay, qui arriva prĂ©cĂ©dĂ© dâune grande rĂ©putation dâhabiletĂ©, acquise Ă la cĂŽte orientale dâAfrique. Dans le dessein de faire Ă©chec aux tentatives des explorateurs français qui prenaient de lâavance sur les affluens septentrionaux du Congo et menaçaient dâatteindre le Baghirmi et le lac Tchad, Ramsay se mit en marche Ă la tĂȘte dâune expĂ©dition de 300 hommes, longea la Sannaga, parvint Ă la station de Jaunde, quâil ne put dâailleurs dĂ©passer, et eut le chagrin de voir son entreprise complĂštement Ă©chouer. Une nouvelle mission du docteur Zintgraff ne devait pas ĂȘtre plus heureuse. Ayant suivi la mĂȘme route quâil avait ouverte en 1888, Zintgraff Ă©tait parvenu Ă Bali et de lĂ comptait gagner IâAdamaoua et le lac Tchad ; mais il dut sâimmobiliser sur place, attendant vainement les munitions et les approvisionnemens que devait lui envoyer Ramsay. AprĂšs sâĂȘtre morfondu 18 mois Ă Bali, et avoir passĂ© tout ce temps en rĂ©criminations stĂ©riles, Zintgraff dut abandonner la partie. EcĆurĂ© des procĂ©dĂ©s de Ramsay Ă son Ă©gard, il faisait savoir Ă lâOffice colonial quâil quittait dĂ©finitivement le service de lâEmpire. De son cĂŽtĂ©, rebutĂ© par son Ă©chec, Ramsay quittait le gouvernement de la colonie du Cameroun. Au commencement de 1893, la situation Ă©tait la suivante les Allemands avaient explorĂ© Ă peu prĂšs toute la rĂ©gion cĂŽtiĂšre ; les bassins du Vieux-Calabar, du Njong, de la Sannaga, avaient Ă©tĂ© reconnus par eux en grande partie. Ils avaient visitĂ© IâAdamaoua mĂ©ridional et avaient atteint la BĂ©nouĂ©. A trois cents kilomĂštres de la cĂŽte, ils avaient fondĂ© les stations de Jaunde, de Balinga et de Balibourg. Mais lĂ sâĂ©taient bornĂ©s les rĂ©sultats de leurs efforts. Les espĂ©rances quâils avaient conçues au dĂ©but avaient Ă©tĂ© loin de se rĂ©aliser. Non seulement ils nâavaient pu pĂ©nĂ©trer au Baghirmi, au lac Tchad et au Chari, mais encore ils nâavaient atteint sur aucun point le mĂ©ridien 12° 40â, quâils considĂ©raient comme la frontiĂšre orientale provisoire de leur colonie. Ni le Vieux-Calabar, ni la Sannaga, ni le Njong, dont le cours avait Ă©tĂ© reconnu par eux, nâavaient pu servir de route conduisant fort avant dans lâintĂ©rieur. Lâorganisation politique du pays ne sâĂ©tait guĂšre prĂȘtĂ©e non plus au succĂšs de leurs tentatives. ImmĂ©diatement en arriĂšre de la zone littorale, la population indigĂšne se trouvait morcelĂ©e en une foule de petites tribus indĂ©pendantes vivant en luttes perpĂ©tuelles ou bien formĂ©es dâagglomĂ©rations de nĂšgres haoussas dĂ©pendant du sultan dâYola auquel il fallait demander lâautorisation de traverser leur territoire. Peuplades indĂ©pendantes ou nĂšgres haoussas constituaient ainsi une puissante barriĂšre entre le littoral et les Etats musulmans plus civilisĂ©s de lâAfrique centrale. Enfin, il faut bien le dire, les Allemands nâavaient pas montrĂ© assez de souplesse dans leurs rapports avec les indigĂšnes. Venus pour la plupart de la cĂŽte orientale, les gouverneurs et les explorateurs avaient employĂ© Ă lâĂ©gard des peuplades du Cameroun les mĂȘmes procĂ©dĂ©s violens, la mĂȘme force brutale dont ils sâĂ©taient servis dans lâest africain Ă lâĂ©gard des Arabes trafiquans dâivoire et chasseurs dâesclaves. Une telle maniĂšre dâagir avait fait le vide devant eux, avait paralysĂ© leurs laborieux efforts et fait aboutir leurs tentatives Ă des insuccĂšs relatifs. IV Tandis que les Allemands sâĂ©puisaient en vains efforts pour gagner le bassin du Chari et les Ătats musulmans de lâAfrique centrale, les Français Ă©tablis au nord du Congo cherchaient, eux aussi, Ă sâavancer dans la mĂȘme direction. On sait que la convention franco-allemande de 1885 avait assignĂ© comme frontiĂšre nord au Congo français la riviĂšre Campo et le parallĂšle qui prolonge dans lâintĂ©rieur le cours de cette riviĂšre. Dâautre part, deux conventions conclues, la premiĂšre en 1885, la seconde en 1887, entre la France et lâĂtat indĂ©pendant du Congo, avaient donnĂ© comme frontiĂšre limitrophe Ă leurs possessions respectives la chaĂźne de partage des eaux du Niari-Quillou et du Congo, puis le cours du Congo jusquâĂ son confluent avec lâOubangui, et enfin le cours de lâOubangui lui-mĂȘme. AprĂšs la conclusion de ces traitĂ©s, la surface du Congo avait la forme dâun triangle fermĂ© dâun cĂŽtĂ© par la mer, de lâautre par le fleuve Congo et lâOubangui et en haut par le Cameroun. Au nord, Ă lâest et Ă lâouest, notre nouvelle colonie se trouvait donc enserrĂ©e dans des limites soit conventionnelles, soit naturelles, parfaitement dĂ©finies. Il nây eĂ»t plus eu pour elle dâextension possible si une solution de continuitĂ© ne se fĂ»t trouvĂ©e par bonheur dans la ligne frontiĂšre. La limite nord du Cameroun nâavait pas Ă©tĂ© indiquĂ©e au-delĂ du 12° 40â de longitude est. Entre ce mĂ©ridien et la rive droite de lâOubangui, qui formait la fronture du Congo français, Ă©tait un espace qui avait Ă©tĂ© laissĂ© en dehors de tout tracĂ©. La frontiĂšre du Cameroun nâatteignait pas ainsi la frontiĂšre formĂ©e par lâOubangui ; le triangle nâĂ©tait pas fermĂ© Ă son sommet. Un couloir sâouvrait devant nous par lequel nous pouvions nous introduire plus avant dans lâintĂ©rieur de lâAfrique. Explorer et reconnaĂźtre ce couloir, sâen assurer la possession soit par des traitĂ©s de protectorat, soit par une occupation effective, aurait dĂ» ĂȘtre la premiĂšre prĂ©occupation de ceux qui nâentendaient pas faire du Congo une simple enclave littorale. Pourtant, pendant les premiĂšres annĂ©es qui suivirent les traitĂ©s de 1885 le but Ă atteindre nâapparut pas trĂšs nettement aux esprits ; du moins on serait tentĂ© de le croire, car on fit peu dâefforts dans cette voie. De 1885 Ă 1890, une mission dâimportance un peu sĂ©rieuse fut seulement organisĂ©e celle de MM. Fourneau et Crampel. Partis en 1887 de la cĂŽte atlantique, Fourneau et Crampel longĂšrent la frontiĂšre nord du Congo français par une route presque parallĂšle Ă celle quâavaient suivie quelque temps auparavant, au nord de cette ligne, Kuun et Tappenbeck. Dans cette direction les deux explorateurs français auraient certainement atteint lâOubangui et reliĂ© la cĂŽte Ă cette grande riviĂšre par une voie directe, sâils ne sâĂ©taient heurtĂ©s aux mĂȘmes obstacles qui avaient obligĂ© Kund et Tappenbeck Ă battre en retraite. En prĂ©sence de lâhostilitĂ© des indigĂšnes, ils durent, comme ces derniers, reculer devant eux et regagner la cĂŽte. De nouvelles tentatives nâeurent lieu quâen 1890. Cette annĂ©e mĂȘme, un grand Ă©vĂ©nement dans lâhistoire du partage politique de lâAfrique avait eu lieu. LâAngleterre et lâAllemagne, ayant rĂ©solu de rĂ©gler une fois pour toutes leurs diffĂ©rends coloniaux, avaient conclu le 2 juillet une convention qui dĂ©limitait dâune maniĂšre prĂ©cise les territoires dans lesquels devait sâexercer leur influence respective. Elles sâĂ©taient notamment partagĂ© les Ătats du sultan de Zanzibar, sans avoir au prĂ©alable demandĂ© le consentement de la France, qui Ă©tait indispensable cependant Ă la validitĂ© de cet acte, car, par un traitĂ© en date de 1862, le Foreign-Office sâĂ©tait engagĂ© envers le gouvernement impĂ©rial Ă ne pas porter atteinte Ă lâindĂ©pendance du sultan. La France ayant fait entendre ses protestations, un compromis intervint. Le gouvernement français consentit Ă reconnaĂźtre le nouvel Ă©tat de choses créé par la convention anglo-allemande du 2 juillet 1890, et en Ă©change lâAngleterre reconnut, en mĂȘme temps que notre protectorat sur Madagascar, la sphĂšre de notre influence au midi de nos possessions mĂ©diterranĂ©ennes jusquâĂ une ligne tirĂ©e de SaĂŻ sur le Niger moyen Ă Barroua sur le lac Tchad. » De par ce traitĂ©, tout lâespace sâĂ©tendant du midi de lâAlgĂ©rie au Niger moyen et Ă la rive nord du lac Tchad Ă©tait placĂ© sous notre influence. La frontiĂšre mĂ©ridionale de nos possessions dans le nord de lâAfrique se trouvait reportĂ©e sur le lac Tchad. Cette frontiĂšre mĂȘme nâĂ©tait plus sĂ©parĂ©e de nos possessions du Congo français que par les pays sâĂ©tendant du midi de ce lac Ă la rive nord du Congo. DĂšs lors, faire de lâAlgĂ©rie, du SĂ©nĂ©gal et du Congo français un seul tout, constituer ainsi un immense empire africain allant des rives de la MĂ©diterranĂ©e au cours du Congo, fut une idĂ©e qui devint familiĂšre Ă beaucoup dâesprits. La rĂ©alisation parut ne pas prĂ©senter dâobstacles insurmontables. On pouvait accĂ©der au lac Tchad par la route laissĂ©e libre entre la colonie du Cameroun et lâOubangui, et il faut dire que la topographie et lâhydrographie de la contrĂ©e allaient se prĂȘter admirablement Ă ce dessein. Deux magnifiques artĂšres fluviales, affluens de la rive droite du Congo, nous ouvraient deux faciles voies de pĂ©nĂ©tration vers le nord, et au-delĂ de la ligne de faĂźte de leur bassin, une autre grande riviĂšre, le Chari, nous conduisait directement au lac Tchad. La rĂ©union sur les bords de cette nappe dâeau de lâAlgĂ©rie, du SĂ©nĂ©gal et du Congo fut alors la formule simple et concrĂšte qui sâimposa Ă tous les esprits. En France, oĂč lâon apporte aujourdâhui un si grand intĂ©rĂȘt aux questions coloniales, les bonnes volontĂ©s et les hommes ne pouvaient manquer pour la rĂ©alisation de ce programme. Un comitĂ© composĂ© de noms Ă©minens empruntĂ©s au monde de la presse, de la politique et de la finance se constitua Ă Paris le 10 dĂ©cembre 1890 sous le nom de ComitĂ© de lâAfrique française, ayant pour objet de reconnaĂźtre le pays compris entre lâOubangui et le lac Tchad, de dĂ©velopper notre commerce dans cette rĂ©gion, dây asseoir notre influence et dâacquĂ©rir ainsi les droits du premier occupant. Crampel, dĂ©jĂ connu par son exploration au nord du Congo et par sa montĂ©e de lâOubangui, vint offrir son concours au ComitĂ© et exposa un plan simple et pratique qui consistait Ă remonter par lâembouchure du Congo jusquâĂ lâOubangui, Ă arriver au Baghirmi, Ă passer au Bornou, Ă jalonner la route ainsi suivie par une ligne de traitĂ©s qui supposeraient Ă lâextension vers lâintĂ©rieur des possessions anglaises et allemandes ; il vit ses offres acceptĂ©es. Le 10 mars 1890 il sâembarquait Ă Bordeaux, arrivait Ă lâembouchure du Congo, dont il remontait le cours jusquâĂ son confluent avec lâOubangui, le cours de cet affluent jusquâau point oĂč cette riviĂšre sâavance le plus au nord, vers le 5°10â de latitude, franchissait la ligne de faite du bassin de lâOubangui et du Chari. Trahi par ses guides, il pĂ©rissait Ă El-Kouti, non sans avoir montrĂ© la route Ă suivre Ă ses successeurs. Dybowski, qui vint aprĂšs lui, vengeait sa mort ; mais, vaincu par la maladie, il rentrait en France, laissant son personnel au poste de la haute KĂ©mo, affluent de lâOubangui, et Casimir Maistre lui succĂ©dait dans son commandement. AccompagnĂ© de MM. de Clozel, de BĂ©hagle et Bonnet de MaiziĂšres, Maistre partait du poste de la KĂ©mo, atteignait le Gribingui, principale branche du Chari, recevait le meilleur accueil des fonctionnaires du sultan du Baghirmi Ă©tablis dans le pays, visitait la ville de LaĂŻ, situĂ©e sur la rive droite du LogonĂ©, et arrivait le 23 mars 1893 Ă Akassa, ayant le bonheur de ramener sains et saufs ses compagnons aprĂšs une exploration qui nâavait pas durĂ© moins de quatorze mois depuis son arrivĂ©e Ă Loango et au cours de laquelle il avait parcouru 5 000 kilomĂštres environ. Les tentatives de pĂ©nĂ©tration vers lâintĂ©rieur par lâOubangui avaient eu lieu aux frais du ComitĂ© de lâAfrique française, qui avait agi sans engager en quoi que ce soit les ressources ou la responsabilitĂ© de lâĂtat. La pĂ©nĂ©tration par lâautre voie navigable, la Sangha, fut lâĆuvre exclusive du gouvernement du Congo. DĂšs 1890, un des fonctionnaires de lâadministration du Congo, M. Cholet, avait fait une premiĂšre exploration de ce fleuve. Il le remontait jusquâĂ son confluent le Ngoko, et le 30 mars atteignait la ville de Comasa. Quelques mois plus tard, MM. Fourneau et Gaillard Ă©tablissaient un poste Ă Ouesso. LâhostilitĂ© des indigĂšnes les obligeait Ă regagner le bas-Congo, mais M. de Brazza en personne reprenait leur projet de pĂ©nĂ©tration. En novembre 1891, il installait une station Ă Bania, faisait franchir au Courbet les rapides qui sây trouvent, explorait les branches les plus Ă©levĂ©es de la Sangha et faisait en mĂȘme temps Ćuvre politique en entrant en relations avec le gouverneur ou lamido de NgaoundĂ©rĂ©. Lui-mĂȘme se rendait dans lâAdamaoua mĂ©ridional Ă Gaza, et en dĂ©cembre 1892 envoyait Ă Yola un de ses agens, M. Ponel, qui reçut de lâĂ©mir le meilleur accueil. Mais dans nos tentatives pour atteindre le lac Tchad, nos efforts ne se bornĂšrent pas seulement Ă remonter le cours de lâOubangui et celui de la Sangha. Nous utilisĂąmes aussi les deux routes quâouvraient devant nous le SĂ©nĂ©gal et le Niger, et dans ce dessein furent organisĂ©es les deux missions de Monteil et de Mizon. Presque Ă la mĂȘme Ă©poque oĂč Fourneau et Gaillard partaient pour explorer la Haute-Sangha, oĂč Crampel remontait lâOubangui, Monteil partait de la cĂŽte occidentale dâAfrique, traversait le pays situĂ© au midi de la boucle du Niger, arrivait Ă SaĂŻ, puis, longeant la ligne frontiĂšre acceptĂ©e par nous en 1890, visitait les Ătats de Sokoto et de Bornou, touchait aux bords du lac Tchad et terminait enfin Ă Tripoli un magnifique voyage qui nâa dâanalogue que ceux de G. Rohlfs et de Nachtigal dans ces rĂ©gions. De son cĂŽtĂ©, au mois dâoctobre 1890, Mizon remontait le Niger ; mais, arrĂȘtĂ© dĂšs le cinquiĂšme jour de sa route par lâhostilitĂ© des indigĂšnes sujets de la Compagnie, il devait se replier avec ses blessĂ©s sur Akassa. Une seconde tentative plus heureuse lâamenait Ă Yola ; mais lĂ , apprenant lâĂ©tat troublĂ© de la rĂ©gion au midi du Tchad, il renonçait Ă aller plus avant et, sâenfonçant droit au sud dans la direction du Congo, il opĂ©rait sa jonction avec M. de Brazza sur les bords de la Sangha. Revenu en Europe au commencement de 1892, Mizon en repartait quelques mois aprĂšs pour lâembouchure du Niger, et au mois dâoctobre de la mĂȘme annĂ©e remontait la BĂ©nouĂ© avec deux bateaux, la Mosca et le Sergent-Malamine, quand il eut la malchance de voir lâun dâeux sâĂ©chouer sur un banc de sable dans le voisinage du territoire du Mouri. Ce fut pour lui une occasion de nouer des relations avec le sultan du pays, de lui prĂȘter son aide pour vaincre des noirs opposĂ©s Ă la circulation des caravanes, et dâobtenir de lui un traitĂ© qui plaçait son pays sous le protectorat de la France. Ces opĂ©rations de Mizon ne furent pas du goĂ»t de la Compagnie du Niger. Des notes comminatoires furent adressĂ©es par elle tant Ă Mizon quâau gouvernement français lui-mĂȘme. On connaĂźt les diverses phases de la lutte engagĂ©e entre Mizon et la Compagnie les attaques violentes de lord Aberdare contre lâexplorateur français Ă lâassemblĂ©e gĂ©nĂ©rale des actionnaires du Niger en juillet 1893, la menace Ă lui faite par la Compagnie de couler ses bateaux, lâinvitation du gouvernement français Ă Mizon de rentrer en France, la poussĂ©e de ce dernier sur Yola, le traitĂ© de protectorat quâil affirma avoir conclu avec le sultan de lâAdamaoua, son dĂ©part dâYola, la fermeture de ses factoreries et la confiscation de ses marchandises par les agens de la Royal Niger Company. Cette derniĂšre mesure arbitraire Ă©tait contraire aux stipulations de lâActe de Berlin, qui dĂ©clare que la navigation du Niger et de ses affluens est libre ; que les sujets et les pavillons de toute nation doivent y ĂȘtre traitĂ©s sur le pied dâĂ©galitĂ©, sans aucune distinction. » Mais la Compagnie paraĂźt sâĂȘtre peu prĂ©occupĂ©e de conformer sa conduite aux prescriptions dâun acte qui cependant fait foi dans le droit public international. Elle veut garder pour elle seule le monopole de lâexploitation du Soudan central, et cherche systĂ©matiquement Ă Ă©carter tout concurrent qui pourrait lui disputer la prĂ©pondĂ©rance commerciale et gĂȘner son action future. Sur le Haut-Oubangui et sur la Haute-Sangha, comme sur la BĂ©nouĂ© et le moyen Niger, lâĆuvre accomplie par nos explorateurs avait Ă©tĂ© Ă©minemment utile aux intĂ©rĂȘts français. Crampel, Dybowski et Maistre avaient conclu des traitĂ©s tout le long de la route quâils ont suivie. Le territoire des peuplades vivant sur les bords de lâOubangui, du Chari, du LogonĂ© et de la Haute-BĂ©nouĂ© se trouvait ainsi placĂ© sous notre influence. Brazza avait annexĂ© pacifiquement le bassin de la Sangha, et Mizon dĂ©clarait avoir fait accepter le protectorat de la France par lâĂ©mir dâYola et les sultans du Bachama et du Mouri. Nous menacions Ă la fois les Anglais Ă©tablis sur le Niger et la BĂ©nouĂ© et les Allemands du Cameroun. Nous avions entourĂ© leurs possessions respectives dâun rĂ©seau Ă peu prĂšs complet dâitinĂ©raires ; nous avions mĂȘme pĂ©nĂ©trĂ©, avec Mizon, sur la BĂ©nouĂ©, au centre de leurs territoires. La Compagnie du Niger se voyait disputer non seulement le monopole commercial quâelle entendait sâarroger, mais encore la possession de territoires quâelle considĂ©rait comme son domaine exclusif. MĂȘme le voyage du commandant Monteil, qui sâĂ©tait montrĂ© pourtant si respectueux des dispositions de la convention de 1890, nâavait pas Ă©tĂ© sans Ă©veiller chez elle quelque mĂ©fiance. Quant Ă la colonie du Cameroun, nous lâavions mise, pour emprunter une expression employĂ©e par la presse allemande, dans une situation plus dĂ©favorable encore. Nous avions contournĂ©, de Yola sur la BĂ©nouĂ© Ă Ouesso sur la Sangha, tout le territoire du Cameroun. Plus Ă lâintĂ©rieur nous avions tracĂ© une deuxiĂšme ligne dâinvestissement du confluent de lâOubangui Ă la Haute-BĂ©nouĂ©. Le Cameroun se trouvait ainsi isolĂ© de lâintĂ©rieur africain par deux lignes de postes français Ă©tablis sur la Sangha et lâOubangui et par les territoires ouverts Ă notre influence par Brazza, Mizon et Maistre. Entre la colonie allemande et le bassin du Chari sâinterposait dĂ©sormais comme une grande barriĂšre une vaste rĂ©gion oĂč nous avions tracĂ© des itinĂ©raires, dĂ©couvert des cours dâeau, Ă©tabli des postes, fait alliance avec des peuples divers. En vain, pour donner de lâair Ă la colonie, pour lui ouvrir une issue vers le Tchad, le lieutenant de Stetten, aprĂšs lâavortement des missions de Zintgraff et de Bainsay, avait-il tentĂ© une exploration nouvelle. Le rĂ©sultat, bien que des plus fructueux pour les intĂ©rĂȘts allemands, avait Ă©tĂ© au-dessous des espĂ©rances de son auteur. Parti le 23 mars 1893 de Balinga, Stetten, aprĂšs avoir traversĂ© le fertile et populeux pays de Tikar oĂč aucun EuropĂ©en nâavait encore pĂ©nĂ©trĂ©, Ă©tait arrivĂ© Ă Yola vers la fin de juillet. LĂ , sâil faut lâen croire, il aurait reçu de lâĂ©mir dâYola lâautorisation, en faveur de lâAllemagne seule, dâĂ©tablir des stations dans les contrĂ©es quâil avait parcourues jusquâĂ la limite sud-est de lâAdamaoua. Mais ses allĂ©gations se trouvĂšrent contestĂ©es par Mizon, qui, survenu Ă Yola six semaines aprĂšs Stetten, dĂ©clara avoir fait signer le. 25 juin au mĂȘme Ă©mir un traitĂ© de protectorat et y avoir fait ajouter, le 25 aoĂ»t, une clause par laquelle notre rĂ©sident seul devait servir dâintermĂ©diaire entre les indigĂšnes et les EuropĂ©ens. Il est vrai dâajouter aussi que le lieutenant von Uchtritz, qui avait remplacĂ© Ă Yola Stetten retournĂ© au Cameroun, refusait de reconnaĂźtre le traitĂ© conclu par Mizon, en allĂ©guant quâil Ă©tait contraire Ă la convention franco-allemande du 24 dĂ©cembre 1885, ainsi quâau traitĂ© conclu prĂ©cĂ©demment entre Stetten et le sultan dâYola. La situation politique dans lâAdamaoua tournait ainsi Ă lâimbroglio ; lâautoritĂ© du sultan dâYola Ă©tait tour Ă tour invoquĂ©e pour justifier les prĂ©tentions les plus opposĂ©es ; les relations Ă©taient des plus tendues entre explorateurs et, en attendant quâun peu de lumiĂšre fĂ»t apportĂ© sur la valeur de tous ces traitĂ©s, un conflit qui eĂ»t pu avoir les plus graves consĂ©quences Ă©tait Ă chaque instant Ă redouter. V JusquâĂ ces derniers Ă©vĂ©nemens, la Compagnie du Niger et la colonie du Cameroun nâavaient pas vĂ©cu dans des rapports dâexcellent voisinage. Leur limite commune, constituĂ©e par le Rio-del-Rey jusquâĂ Yola, Ă©tait extrĂȘmement vague et avait donnĂ© lieu Ă des complications irritantes entre la Compagnie du Niger et le protectorat anglais des Oil-Rivers dâune part et le Cameroun de lâautre. Anglais et Allemands se considĂ©raient dâailleurs volontiers sur le terrain commercial comme des concurrens dont le plus fort devait Ă©liminer le plus faible ; les uns et les autres avaient aussi des visĂ©es politiques tout opposĂ©es. Câest avec intention des deux cĂŽtĂ©s que la ligne de dĂ©marcation de leurs possessions respectives nâavait pas Ă©tĂ© poussĂ©e au-delĂ dâYola. Entre ce point et le lac Tchad, les Anglais espĂ©raient se glisser, et par cette bande Ă©troite joindre leurs possessions du Soudan central Ă celles du Soudan Ă©gyptien, et constituer ainsi de la cĂŽte Ă la contre-cĂŽte africaine un empire qui eĂ»t embrassĂ© lâAfrique dans toute sa largeur. Les Allemands, de leur cĂŽtĂ©, entendaient bien prolonger leur colonie jusquâau Tchad et occuper le plus possible dâespace au nord-ouest dâYola et vers le Bornou. Des pourparlers pour donner une frontiĂšre dĂ©finitive Ă leurs possessions avaient Ă©tĂ© engagĂ©s, mais nâavaient pu aboutir. Ni les uns ni les autres nâavaient voulu dĂ©mordre de leurs prĂ©tentions, et la situation eĂ»t pu se prolonger indĂ©finiment avec ce caractĂšre dâindĂ©cision, si les efforts que faisaient les Français pour prendre pied en arriĂšre de leurs sphĂšres dâinfluence rĂ©ciproques ne les eussent obligĂ©s de se rapprocher. Devant le danger qui les menaçait, lâAngleterre et lâAllemagne crurent quâil Ă©tait devenu urgent pour elles de sâentendre sur un terrain de conciliation elles se tirent des concessions rĂ©ciproques pour avoir toute libertĂ© de surveiller lâennemi commun. Le premier rĂ©sultat de cette entente fut les bons services rendus Ă la mission von Uchtritz par la Compagnie du Niger, qui transporta le personnel et le matĂ©riel de la mission Ă Yola ; le second fut la signature de la convention du 14 aoĂ»t 1893, qui donna aux deux sphĂšres dâinfluence anglaise et allemande au Niger et au Cameroun une ligne de dĂ©marcation complĂšte et dĂ©finitive. La limite provisoire tracĂ©e dâabord du Rio-del-Rey aux rapides du Vieux-Calabar, continuĂ©e ensuite jusquâĂ , la rive sud du lac Tchad, aboutit en un point situĂ© Ă 35â Ă lâest du mĂ©ridien de Kouka, correspondant Ă la distance entre le mĂ©ridien de Kouka et le 14° de longitude est de Greenwich. A lâouest de cette ligne, tous les terrains tombĂšrent dans la sphĂšre dâintĂ©rĂȘts allemande. Une certaine portion de territoire Ă lâest dâYola ayant pour rayon une ligne partant dâYola et aboutissant, en un point situĂ© sur la rive gauche de la BĂ©nouĂ©, Ă 5 kilomĂštres de lâembouchure de la riviĂšre Faro, fut cependant rĂ©servĂ©e Ă lâAngleterre. Il Ă©tait convenu en outre que lâinfluence allemande, en ce qui concerne ses relations avec la Grande-Bretagne, ne sâĂ©tendrait pas au-delĂ des bassins de la riviĂšre Chari, et que les pays du Darfour, du Kordofan et du Bahr-el-Ghazal, tels quâils sont dĂ©limitĂ©s dans la carte publiĂ©e par Justus Perthes en octobre 1891, seraient exclus de la sphĂšre dâinfluence de lâAllemagne, mĂȘme au cas oĂč il serait dĂ©couvert que des affluens du Chari sont situĂ©s Ă lâintĂ©rieur de ces pays. Les deux puissances prenaient lâengagement de sâabstenir mutuellement de tout empiĂ©tement sur leurs sphĂšres dâinfluence rĂ©ciproques ainsi dĂ©terminĂ©es, de renoncer Ă faire des acquisitions dans la sphĂšre dâinfluence lâune de lâautre, dây conclure des traitĂ©s, dây accepter des droits de souverainetĂ© ou de protectorat, et la Grande-Bretagne reconnaissait quâelle Ă©tait obligĂ©e dâappliquer, en ce qui concerne la partie du Niger et de ses affluens situĂ©s dans les pays placĂ©s sous sa souverainetĂ©, les dispositions des articles de lâacte de Berlin relatives Ă la libertĂ© de navigation. LâAllemagne reconnaissait de son cĂŽtĂ© quâelle Ă©tait liĂ©e par ces mĂȘmes obligations en ce qui concerne la partie du rĂ©seau fluvial placĂ©e dĂ©sormais sous son autoritĂ©. En Angleterre la presque unanimitĂ© de lâopinion a fait un accueil favorable Ă cet accord. Une bonne partie de la presse anglaise, et notamment le Times, crut pouvoir dire que cet arrangement rĂ©glait dâune façon satisfaisante une question ayant depuis prĂšs de huit ans donnĂ© lieu Ă maintes difficultĂ©s, et que lâheureuse issue des nĂ©gociations menĂ©es de part et dâautre par M. Gosselin et le docteur Kayser, chef de lâOffice Colonial allemand, dans un Ă©gal esprit de conciliation, pouvait ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme un nouveau fruit des rapports si amicaux existant entre lâAllemagne et lâAngleterre dans le traitement de toutes les questions coloniales. Le contentement fut moins vif en Allemagne, oĂč les coloniaux chauvins se plaignirent de voir Yola et un territoire compris Ă lâest dans un certain rayon Ă lâen tour de cette ville reconnus dĂ©finitivement comme appartenant Ă la sphĂšre dâinfluence anglaise. Pour notre part, nous sommes dâavis que, malgrĂ© les plaintes des coloniaux allemands, malgrĂ© la satisfaction feinte ou rĂ©elle de la presse anglaise, la convention du 14 aoĂ»t 1898 a fait la part la plus belle Ă lâAllemagne. Sans doute elle nâobtenait pas Yola, qui dâailleurs avait Ă©tĂ© cĂ©dĂ©e par elle Ă lâAngleterre Ă la suite de lâarrangement de 1886, mais elle acquĂ©rait une position dominante sur la Haute-BĂ©nouĂ© et le confluent de la riviĂšre Faro avec lâimportante place de commerce de Karoua. Elle a la rive sud du lac Tchad Ă lâoccident du 14° de longitude avec lâembouchure du Chari ; surtout, lâAngleterre se dĂ©pouillait Ă son profit de toutes prĂ©tentions au-delĂ du 14° est, et lâimmense territoire du Soudan occidental jusquâaux limites du bassin du Nil rentrait dans la sphĂšre dâinfluence des intĂ©rĂȘts allemands. A elle le Baghirmi, le Kanem, le WadaĂŻ, la rive orientale du Tchad et le prolongement indĂ©fini de cet empire vers le nord. En Ă©change de cette cession gĂ©nĂ©rale du centre africain, lâAngleterre ne gagnait quâun bien faible territoire autour dâYola. Elle sâinterdisait les longs espoirs et le grandiose avenir. Le projet des coloniaux anglais de rĂ©unir le Soudan central au Soudan Ă©gyptien devenait mort-nĂ©. Les motifs de cet abandon gĂ©nĂ©ral de ses rĂȘves et de ses conceptions nâont point Ă©tĂ© indiquĂ©s. Peut-ĂȘtre lâAngleterre a-t-elle jugĂ© que le Soudan central, qui ne comprend pas moins de 600 000 kilomĂštres carrĂ©s avec une population de trente millions dâĂąmes, devait lui suffire ; que la rĂ©alisation du projet dâunion du Soudan central et du Soudan Ă©gyptien constituerait une opĂ©ration par trop onĂ©reuse et lui occasionnerait des soucis par trop absorbans ; que, dans ces conditions, le mieux Ă©tait de passer la main. Quoi quâil en soit, le traitĂ© du 15 novembre 1893 sanctionnait le partage de lâAfrique centrale entre lâAllemagne et lâAngleterre. A la premiĂšre il donnait le bassin du Chari ; Ă la seconde il rĂ©servait le bassin du Nil. Si la rĂ©partition de ces immenses territoires eĂ»t Ă©tĂ© une question Ă dĂ©battre exclusivement entre les deux puissances contractantes, tout eĂ»t Ă©tĂ© pour le mieux et aucun Ătat nâeĂ»t Ă©tĂ© autorisĂ© Ă formuler des observations. Mais il nâen Ă©tait pas ainsi. La France, qui avait Ă©tĂ© tenue Ă lâĂ©cart des nĂ©gociations anglo-allemandes, Ă©tait, des puissances europĂ©ennes qui avaient des intĂ©rĂȘts dans lâAfrique centrale, celle [qui sâĂ©tait créé le plus de droits Ă la possession dâune bonne partie de cette rĂ©gion, et notamment du bassin du Chari. En donnant lâĂ©tendue de ce bassin aux Allemands jusquâĂ la ligne de faĂźte du bassin du Nil, lâAngleterre donnait en rĂ©alitĂ© ce qui ne lui appartenait pas. Lâaccord anglo-allemand tenait donc pour nuls et non avenus les traitĂ©s de Crampel, de Dybowski et de Maistre ; mĂȘme il affectait dâignorer notre occupation pacifique de la Sangha. Il faisait de notre colonie du Congo français un territoire fermĂ©. BloquĂ© au nord par les Allemands, Ă lâest par les Belges, le Congo français nâavait plus dâextension possible ; lâAlgĂ©rie et le SĂ©nĂ©gal Ă©taient Ă jamais sĂ©parĂ©s de lui. De plus, la maniĂšre dont les nĂ©gociations avaient Ă©tĂ© conduites constituait un manquement absolu dâĂ©gards en vers la France. On avait agi comme si nous ne comptions plus, comme si on ne nous connaissait pas, comme si on nâavait pas voulu nous connaĂźtre. Nous avions Ă©tĂ© traitĂ©s avec la mĂȘme dĂ©sinvolture quâen 1890 lors du partage des Ătats du sultan de Zanzibar. BlessĂ©s gravement dans nos intĂ©rĂȘts et notre amour-propre, nous ne pouvions, malgrĂ© notre trĂšs grand dĂ©sir dâĂ©viter les conflits, accepter la situation nouvelle qui nous Ă©tait faite. Aussi, dĂšs que lâaccord anglo-allemand eut Ă©tĂ© rendu public le 15 novembre 1893, fĂźmes-nous entendre nos protestations. Notre cause Ă©tait si juste, nos plaintes si fondĂ©es, que lâAllemagne ne pouvait ne pas les admettre. Le cabinet de Berlin dĂ©clara ĂȘtre animĂ© des dispositions les plus conciliantes et se montra dĂ©sireux de nĂ©gocier amicalement avec nous les bases dâun accord. Sur ces indications rassurantes, M. Haussmann, chef de la division politique de lâadministration des colonies, assistĂ©, comme dĂ©lĂ©guĂ© technique, du commandant Monteil, furent dĂ©signĂ©s comme commissaires et envoyĂ©s Berlin traiter avec le gouvernement allemand, qui nomma, pour le reprĂ©senter, M. Kayser, directeur de la division coloniale, et le baron von Dankelmann, directeur de la Revue de gĂ©ographie coloniale Die Mittheilungen. La mission des commissaires allemands et français Ă©tait des plus dĂ©licates. En France et en Allemagne, on partait des points de vue les plus diffĂ©rens. On nâĂ©tait pas mĂȘme dâaccord sur la valeur des termes employĂ©s dans le traitĂ© de 1885 qui avait fixĂ© la frontiĂšre du Cameroun et du Congo français. Dans ce traitĂ© il Ă©tait dit textuellement que le gouvernement de S. M. lâempereur dâAllemagne sâengage Ă sâabstenir de toute action politique au sud dâune ligne suivant ladite riviĂšre Rio Campo, depuis son embouchure jusquâau point oĂč elle rencontre le mĂ©ridien situĂ© par 10° de longitude est de Greenwich, et, Ă partir de ce point, le parallĂšle prolongĂ© jusquâĂ sa rencontre avec le mĂ©ridien situĂ© par 15° de longitude est de Greenwich » ; et aussi que le gouvernement de la RĂ©publique française renonce Ă tous droits et Ă toutes prĂ©tentions quâil pourrait faire valoir sur les territoires situĂ©s au nord de la mĂȘme ligne, et quâil sâengage Ă sâabstenir de toute action politique au nord de cette ligne. » Or, il y avait une interprĂ©tation allemande et une interprĂ©tation française de ces mots. DâaprĂšs lâinterprĂ©tation allemande, la France ne pouvait exercer aucune action politique au nord de la frontiĂšre mĂ©ridionale du Cameroun, ainsi tracĂ©e jusquâĂ sa rencontre avec le 15° de longitude est de Greenwich, ce mĂ©ridien ayant Ă©tĂ© fixĂ© dans toute sa longueur comme la frontiĂšre orientale du Cameroun. DâaprĂšs lâinterprĂ©tation française, ce mĂȘme mĂ©ridien de Greenwich nâavait Ă©tĂ© considĂ©rĂ© que comme le point dâarrĂȘt de la frontiĂšre sud, non comme une ligne pouvant ĂȘtre prolongĂ©e indĂ©finiment », et lâon ajoutait, pour confirmer cette maniĂšre de voir, que M. de Freycinet, dans son exposĂ© des motifs du projet de loi portant approbation de lâarrangement de 1885 et soumis Ă la Chambre des dĂ©putĂ©s le 1er fĂ©vrier 1886, constatait que la limite commune dans la baie de Biafra avait Ă©tĂ© calculĂ©e de façon Ă rĂ©server les droits reconnus Ă la France par la confĂ©rence de Berlin dans le bassin du Congo et dans celui de lâOubangui. » Nous nâavons pas lâintention de prendre parti pour lâune ou lâautre interprĂ©tation ; nous nous contentons dâexposer les faits dâune maniĂšre impartiale et dâen faire ressortir les consĂ©quences. La consĂ©quence de lâinterprĂ©tation allemande Ă©tait que lâarrangement de 1885 avait dĂ©finitivement donnĂ© Ă lâAllemagne tout le pays Ă lâouest du 15° de longitude est de Greenwich, câest-Ă -dire lâAdamaoua, une partie du Baghirmi, une partie de la rive mĂ©ridionale du lac Tchad avec les bouches du Chari ; que, ce point Ă©tant irrĂ©vocablement acquis, les nĂ©gociations Ă ouvrir ne devaient plus porter que sur les pays situĂ©s Ă lâest du mĂ©ridien. Et, dĂ©voilant par avance les convoitises nationales, la carte des possessions coloniales allemandes de Kiepert reculait indĂ©finiment jusquâau bassin du Nil les limites occidentales du Cameroun, englobant ainsi dans cette colonie tout le Baghirmi, le WadaĂŻ et le Kanem et fermant au Congo français toute issue vers le nord et vers lâest. En revanche, la consĂ©quence de lâinterprĂ©tation française Ă©tait que la convention de 1885 nâavait donnĂ© ni frontiĂšre orientale, ni mĂȘme frontiĂšre nord au Cameroun, et que, le pays Ă lâouest du 15° de longitude ayant Ă©tĂ© laissĂ© libre, non seulement lâAdamaoua, mais encore les centres importans de NgaoundĂ©rĂ© et de Tibati, devaient appartenir au premier occupant. On conçoit quâavec des vues si opposĂ©es les nĂ©gociations ne pouvaient ĂȘtre que longues et difficiles. Ajoutez quâau-delĂ du Rhin les ambitions Ă©taient fort surexcitĂ©es. Au moment mĂȘme oĂč nos commissaires sâabouchaient avec les dĂ©lĂ©guĂ©s allemands, au mois de dĂ©cembre 1893, un comitĂ© de la SociĂ©tĂ© coloniale allemande, dans une sĂ©ance tenue Ă Magdebourg sous la prĂ©sidence du prince de Hohenlohe-Langenbourg, prenait une dĂ©libĂ©ration dans laquelle il exprimait lâespoir que le gouvernement allemand devait sâefforcer dâĂ©tendre la sphĂšre dâinfluence allemande sur le bassin du Chari et du Baghirmi, situĂ©s au-delĂ du 15° de longitude est, et quâil devait assurer aux entreprises allemandes lâaccĂšs vers un des affluens navigables du Congo. Ces revendications, ajoutait le ComitĂ©, constituaient le minimum de ce que lâAllemagne rĂ©clamait dans le rĂšglement de la question du Cameroun. » La SociĂ©tĂ© coloniale exprimait en mĂȘme temps le dĂ©sir que, si la France ne faisait pas droit aux demandes de lâAllemagne, mieux valait que le traitĂ© de dĂ©limitation fĂ»t ajournĂ© Ă une Ă©poque ultĂ©rieure. Pour ne pas fournir un prĂ©texte Ă lâagitation des esprits, les pourparlers furent tenus secrets. Aussi ne peut-on rien dire des phases par lesquelles les nĂ©gociations ont passĂ©, des Ă©changes de vues qui sont intervenus ; mais ce quâil nous est permis dâaffirmer, câest que les deux pays furent plusieurs fois amenĂ©s Ă se demander sâils ne devaient pas rompre les nĂ©gociations, et si, Ă dĂ©faut dâentente directe, on nâen serait pas rĂ©duit Ă aller devant un arbitre. Lâentente finit cependant par se faire, et le 4 fĂ©vrier 1894 les commissaires français et allemands signaient un protocole qui a mis fin aux questions litigieuses pendantes entre la France et lâAllemagne dans lâAfrique centrale. Ce protocole dĂ©termine dâune maniĂšre dĂ©finitive la sphĂšre dâinfluence dans laquelle devra sâexercer lâaction de lâAllemagne. Dâune maniĂšre gĂ©nĂ©rale le 15° de longitude est de Greenwich est reconnu comme la frontiĂšre occidentale du Cameroun jusquâĂ la rencontre du 10e parallĂšle, Ă lâexception dâune enclave sur la haute BĂ©nouĂ©, et des centres de LamĂ© et de Kunde avec une banlieue de 5 kilomĂštres laissĂ©s Ă la France. A lâouest du 15° de longitude, une petite portion de territoire est par contre laissĂ©e Ă lâAllemagne, et lui donne accĂšs sur la haute Sangha. A partir du point dâintersection du 15° de longitude et du 10e parallĂšle, la ligne frontiĂšre est formĂ©e par ce parallĂšle jusquâĂ sa rencontre avec le cours du Chari, puis par le cours de ce fleuve jusquâĂ son embouchure dans le lac Tchad. Le gouvernement français, dans la zone dâinfluence quâil reconnaĂźt ainsi Ă lâAllemagne, prend lâengagement de nâexercer aucune action politique, de ne faire aucune acquisition territoriale, de ne conclure aucun traitĂ©, de nâaccepter aucun droit de souverainetĂ© et de protectorat. Le gouvernement allemand prend le mĂȘme engagement pour les pays du centre africain, situĂ©s au-delĂ de la ligne de dĂ©marcation et quâil reconnaĂźt appartenir dĂ©sormais Ă la sphĂšre dâinfluence française. Les deux gouvernemens se reconnaissent respectivement tenus dâappliquer et de faire respecter les dispositions relatives Ă la libertĂ© de la navigation et du commerce, contenues dans lâacte de Berlin, de mĂȘme que les clauses de lâacte de Bruxelles, relatives Ă lâimportation des armes et des spiritueux. Ils sâengagent Ă traiter les commerçans des deux pays sur le pied dâune Ă©galitĂ© parfaite en ce qui concerne lâusage des routes ou autres voies de communication terrestres, Ă les soumettre aux mĂȘmes rĂšgles, et Ă les faire jouir des mĂȘmes avantages au point de vue des acquisitions et installations nĂ©cessaires Ă lâexercice et au dĂ©veloppement de leur commerce et de leur industrie. Le protocole doit ĂȘtre ratifiĂ© dans les six mois par les deux gouvernemens respectifs. VI Le Congo français et le Cameroun allemand vont donc avoir une dĂ©limitation bien nette. LâĆuvre commencĂ©e en 1883 par Nachtigal sur le littoral du golfe de GuinĂ©e, continuĂ©e par les traitĂ©s de 1885, de 1886 et de 1893 avec lâAngleterre, par les traitĂ©s de 1885 et de 1894 avec la France, se sera terminĂ©e Ă la rive gauche du Chari, et au bord mĂ©ridional du lac Tchad. La colonie allemande nâa plus la forme dâun trapĂšze que lui avaient donnĂ©e les traitĂ©s de 1885. Sur la carte le dessin quâelle figure aujourdâhui est autrement pittoresque. On dirait un pĂ©lican assis au fond du golfe de GuinĂ©e, le dos tournĂ© au littoral, le regard fixĂ© sur le centre africain ; la tĂȘte touche au lac Tchad, le col Ă la Haute-BĂ©nouĂ©, le dos Ă la mer ; les pattes sâappuient sur la Haute-Sangha. Comme Ă©chantillon dâhistoire naturelle, le dessin est suffisamment Ă©bauchĂ© ; comme division territoriale politique, la conception parait mĂ©diocre. A lâexception dâune partie de sa frontiĂšre orientale, reprĂ©sentĂ©e par le cours du Chari, le Cameroun nâa que des limites idĂ©ales. On peut dire dâelles quâelles ont Ă©tĂ© tracĂ©es dans le ciel et non sur la terre. Les diplomates ne doivent pas ĂȘtre rendus trop responsables de cet Ă©tat de choses. En lâabsence de donnĂ©es gĂ©ographiques prĂ©cises, ils ont dĂ» adopter des mensurations gĂ©odĂ©siques. Les deux gouvernemens se sont dâailleurs rendu compte des difficultĂ©s que cette maniĂšre de procĂ©der pouvait susciter plus tard, et ont sagement stipulĂ© dans une annexe accompagnant le protocole quâil y aurait lieu, dans lâavenir, de substituer progressivement aux lignes idĂ©ales, ayant servi Ă dĂ©terminer la frontiĂšre, un tracĂ© dĂ©terminĂ© par la configuration naturelle du terrain et jalonnĂ© par des points exactement reconnus. Pour le plus grand bien du Cameroun et du Congo français, nous souhaitons que ce dernier accord intervienne le plus tĂŽt possible, et que la forme du pĂ©lican soit un peu modifiĂ©e. Le protocole du 4 fĂ©vrier nâa pas Ă©tĂ© accueilli avec un bien grand enthousiasme en Allemagne. On concevra sans peine le dĂ©sappointement des coloniaux allemands si lâon songe aux grands espoirs quâils avaient caressĂ©s. Le 15° de longitude est de Greenwich et le cours infĂ©rieur du Chari donnĂ© comme limite orientale au Cameroun, câest la pĂ©nĂ©tration allemande vers le Soudan central et le bassin du Nil arrĂȘtĂ©e, câest la fin du rĂȘve dâun grand empire allemand soudanien. Adieu la plus grande partie du Baghirmi, le Kanem, le WadaĂŻ, le haut et moyen Chari ! De la carte de lâempire colonial allemand il va falloir faire disparaĂźtre la teinte allemande dont Kiepert avait complaisamment couvert toutes ces rĂ©gions. En France, la transaction territoriale consacrĂ©e par ce protocole est en gĂ©nĂ©ral trouvĂ©e satisfaisante pour nos intĂ©rĂȘts. Quelques critiques seulement se font entendre au sujet de la cession dâune partie de la Haute-Sangha. Nous comprenons ces regrets surtout sâils Ă©manent de ceux qui ont pris une part active Ă lâexploration et Ă lâoccupation pacifique de la rĂ©gion. On ne voit pas de gaietĂ© de cĆur donner Ă un autre le champ quâon a dĂ©frichĂ© soi-mĂȘme. Mais cette cession nâa pas Ă©tĂ© sans compensation. En Ă©change de lâabandon fait par nous, nous avons acquis un territoire Ă©quivalent sur la Haute-BĂ©nouĂ© et les centres de LamĂ© et de Kunde. Dâailleurs il ne faut pas sâattacher exclusivement aux clauses secondaires dâun traitĂ©, mais il faut juger son ensemble. Or, Ă ce point de vue gĂ©nĂ©ral, les plus difficiles doivent ĂȘtre satisfaits. Le protocole du 4 fĂ©vrier conserve Ă la France presque tout entiĂšre la rĂ©gion occupĂ©e par M. de Brazza sur la Haute-Sangha et tous les territoires oĂč la mission Maistre a conclu des traitĂ©s. Il nous donne accĂšs sur la Haute-BĂ©nouĂ© avec la facultĂ© dâutiliser la voie de pĂ©nĂ©tration du Niger ; il nous attribue certains districts orientaux et mĂ©ridionaux de lâAdamaoua et presque tout le bassin du Chari avec une partie de la rive mĂ©ridionale du lac Tchad. Mais le protocole vaut mieux encore par ce quâil ne dit pas que par ce quâil contient. Une limite prĂ©cise Ă©tant apportĂ©e Ă la pĂ©nĂ©tration de lâinfluence allemande dans le Soudan central et occidental, dâimmenses territoires sont rattachĂ©s diplomatiquement Ă notre sphĂšre dâinfluence dans ces rĂ©gions. Le WadaĂŻ, le Kanem, le Baghirmi, que le dernier traitĂ© anglo-allemand avait reconnus Ă lâAllemagne, sont abandonnĂ©s par cette puissance Ă la France ; celle-ci se voit mise par ce fait en possession de la plus grande partie du Tchad, dâune partie des rives occidentales jusquâĂ Barroua et de toute la rive orientale. A lâexception dâune minime section de la rive gauche de son cours infĂ©rieur, le Chari devient un fleuve français. A lâest du Tchad, le Tibesti et le Sahara oriental entrent dans la sphĂšre probable de lâinfluence française. Le rĂȘve des africanistes français est enfin devenu une rĂ©alitĂ© ; lâAlgĂ©rie et le SĂ©nĂ©gal se rĂ©unissent au Congo français et ne vont plus former quâun tout. DâAlger Ă Brazzaville, il nây aura plus quâune ligne ininterrompue de possessions françaises. Ainsi se trouvent rĂ©compensĂ©s les efforts de nos explorateurs soutenus et encouragĂ©s par le gouvernement et les particuliers. Nous avons donnĂ©, dans cette occurrence, le spectacle dâune nation qui a une politique coloniale arrĂȘtĂ©e et qui marche imperturbablement vers le but quâelle veut. Ni les crises politiques, ni les changemens ministĂ©riels, ni de tristes scandales quâil est inutile de rappeler ici nâont pu amener le moindre changement dans la ligne de conduite primitivement adoptĂ©e. Câest Ă cette tĂ©nacitĂ© que nous devons le magnifique lot qui nous est Ă©chu dans le partage de lâAfrique centrale. Il faut dire aussi que nous avons Ă©tĂ© merveilleusement servis par le peu de succĂšs des explorations allemandes qui ont mis le gouvernement allemand en mauvaise posture pour obtenir de plus grandes concessions dans lâAfrique centrale. LâAllemagne a dĂ» reconnaĂźtre dâune maniĂšre presque officieuse lâinfĂ©rioritĂ© de situation dans laquelle elle se trouvait. Dans une rĂ©union de personnages du monde colonial tenue Ă la fin de fĂ©vrier au ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres sur lâinvitation mĂȘme du dĂ©partement colonial, le reprĂ©sentant mĂȘme du gouvernement avouait en toute sincĂ©ritĂ© quâĂ lâappui de ses prĂ©tentions territoriales dans lâAfrique centrale, lâAllemagne ne pouvait invoquer, indĂ©pendamment des traitĂ©s de Flegel, que les rĂ©sultats obtenus par les missions du docteur Zintgraff et de Morgen et que les rĂ©sultats Ă©ventuels de lâexpĂ©dition alors en cours de von Uchtritz. Quant au dernier voyage de Stetten sur lequel on avait fondĂ© de si grandes espĂ©rances, il nâavait abouti, ajoutait-il, Ă aucun avantage sĂ©rieux et il ne fallait pas songer Ă sâen servir comme dâun titre juridique contre les prĂ©tentions françaises. Et la rĂ©union Ă lâunanimitĂ© moins trois voix a approuvĂ© cette maniĂšre de voir. Il y a lieu dâapplaudir Ă cette franchise. Mais nous serions portĂ©s Ă croire que le peu de succĂšs de ses explorateurs nâa pas Ă©tĂ© la seule cause qui ait dĂ©terminĂ© lâAllemagne Ă accepter le nouvel arrangement. Le gouvernement allemand a dĂ» avoir devant les yeux dâautres considĂ©rations plus hautes quâil ne veut ou ne peut avouer. Le Soudan oriental sera un lourd fardeau ; il sera une source de difficultĂ©s sans cesse renaissantes ; il occasionnera de grandes dĂ©penses en hommes et en argent ; le protectorat du pays, si toutefois les chefs veulent bien lâaccepter, restera longtemps nominal. LâAllemagne qui a lâĆil sur lâEurope, qui est mĂ©nagĂšre de ses soldats et de ses Ă©cus, nâa pas voulu sâaventurer dans le guĂȘpier. Ce faisant, elle a fait preuve dâune prudente sagesse. Elle sâest dit dâailleurs que le lot qui lui Ă©tait reconnu, bien quâil fĂ»t rĂ©duit, restait superbe. Les plateaux de lâAdamaoua sont salubres et fertiles. Ils se maintiennent Ă une altitude qui permet Ă lâEuropĂ©en dây vivre et de sây acclimater. Câest une colonie de peuplement, chose rare en Afrique, et quelques-uns de ses districts valent plus que tous les marais du Chari. LâAllemagne se voit en outre dĂ©livrĂ©e de toute inquiĂ©tude sur ses frontiĂšres. Câest la France qui va monter la garde les nouveaux territoires quâelle sâest rĂ©servĂ©s vont servir de marche orientale au Cameroun allemand et au Soudan anglais. A lâAllemagne et Ă lâAngleterre les gros profits commerciaux sur la cĂŽte, Ă la France les luttes stĂ©riles dans le dĂ©sert. Nous allons avoir un rĂŽle bien glorieux, mais bien pĂ©nible Ă remplir. Il nous faudra tenir en mains des peuples remuans, prĂ©venir les querelles intestines, rĂ©primer les insurrections. Nous nâen avons pas fini non plus avec les contestations dâorigine europĂ©enne. Notre flanc gauche est dĂ©sormais couvert Ă lâouest par notre arrangement avec lâAllemagne, mais il faut faire face Ă lâest et au nord, aux Belges et aux Anglais aux Belges qui se sont Ă©levĂ©s le long du MâBomou et du Schinko jusquâau 6e degrĂ© de latitude et menacent de sâĂ©lever plus haut encore, aux Anglais qui, longtemps indĂ©cis sur le sort de lâOuganda, se sont dĂ©cidĂ©s Ă lâoccuper, viennent de terminer la guerre de lâOunyoro, et font leur apparition dans le Soudan Ă©gyptien. Des incidens rĂ©cens ont assez montrĂ© la rĂ©alitĂ© du danger pour que nous nâayons pas besoin dây insister. Lâattitude du gouvernement nous permet dâailleurs dâespĂ©rer que la solution Ă intervenir sâinspirera par-dessus tout des intĂ©rĂȘts de la civilisation europĂ©enne en Afrique. Dr ROUIRE.